Une des pancartes que j’ai dessinées pour équiper visuellement notre manif d’artistes et de travailleur.euse culturelles proclame « l’Œuvre est Grève ». Au début j’avais un autre slogan en tête, qui est pas mal non plus et qui disait « l’Œuvre est grave ». J’aimais bien. Mais, à la GMAQ, on aime essayer de cultiver une certaine légèreté pour combattre l’esprit de sérieux de nos dirigeants. Et puis j’ai été rattrapé par cette déformation professionnelle qui me fait lire des mots là où il y en a d’autres. À travers le mot Grave, j’ai vu le mot Grève. Parce que bien sûr, l'heure est grave, d'une gravité sans pareil. Mais c’est justement parce que la situation est immensément grave qu’il faut nous y opposer en étant immensément grève.
Dans le contexte qui nous réunit, c’est quoi la grève? Dans nos discussions gémaquiennes, l’idée de la grève de l’art revient souvent. Elle porte en elle l’espoir que, privé des formes de l’art, l’État en viendrait à reconnaître l’importance de ses producteurs et la nécessité de leur accorder les moyens de vivre dignement dans une société où tout s’achète.
Mais les artistes sont-ils des producteurs, au sens où l’entend le ministre Lacombe quand il se rend en France pour vanter la découvrabilité de nos produits culturels? L’artiste est-il vraiment un·e travailleur·euse comme les autres ? En choisissant la voie de l’art, ne nous mettons-nous pas au contraire en rupture avec le monde du travail ? Ne revendiquons-nous pas un type de production de valeur radicalement opposée à celle qui est enseignée en école de commerce ? Les termes de production, produits culturels et découvrabilité sont-ils biens choisis quand on parle d’art ?
Il me semble au contraire que choisir la voie de l’art est une manière de s’opposer au système capitaliste. De produire une valeur qui ne soit pas uniquement celle de l’argent roi, de s’intéresser à la vie au-delà des intérêts économiques, n’en déplaise à Pierre-Yves McSween.
Peut-être que se mettre en grève, pour nous autres les artistes, ce n'est pas seulement cesser le travail. C’est se rendre disponible pour autre chose, occuper le terrain en restant attentif aux possibilités du futur. Faire grève, c’est œuvrer pour le futur, c’est œuvrer pour qu’il y ait encore un futur malgré la danse de mort des pétro-techno-capitalistes.
Quand l’heure est grave, l’œuvre fait grève.
Les articles de Radio Canada et du Devoir