l’eau tiède Dessin aléatoire

Sous-traitance à l'extrême

Le lapsus n'est pas de moi, il est de Masbourian à l'antenne de Radio can ce matin, et il a bien fait rire la ministre. Tant qu'on continue de se marrer, tout va bien.

Lettre ouverte

Tous les arts sont vivants

Lettre au ministre de la Culture et des Communications du Québec

Cher ministre Lacombe,

Nous vous écrivons depuis un milieu des arts mal en point, pour vous rappeler les solidarités qui le tissent et que vous semblez parfois oublier : solidarités entre les disciplines et solidarités entre artistes, travailleur·euses de l’art et organismes.

Ainsi, une partie d’entre nous vous écrit depuis le monde apparemment invisible des arts que l’on dit « pas vivants » – chose que nous n’aurions pas cru devoir préciser, jusqu’à tout récemment. Après tout, les travailleur·euses des arts « pas vivants » – arts visuels, arts médiatiques, littérature, revues culturelles et autres pratiques sans scène – étaient dans la rue il y a tout juste quelques mois, avec leurs collègues du théâtre, de la danse, de la musique et du cirque, et pour dénoncer les mêmes choses. Nous croyions qu’il était évident que, quand nous scandions « les arts ne vont pas bien », ça voulait dire tous les arts. Il semble que nous avions tort.

Les arts morts veulent aussi vivre

À l’émission Tout un matin du 2 octobre dernier (chaîne ICI Première de Radio-Canada), vous avez affirmé que « L’autre dossier important pour moi [outre la production audiovisuelle et les festivals], c’est les arts vivants. » Les arts vivants, pour rappel, sont ceux qui mettent en coprésence des artistes-performeur·euses et un public : théâtre, danse, arts du cirque, musique, marionnette, opéra, arts de rue. Sont exclues de cette sphère les nombreuses pratiques où les artistes demeurent le plus souvent dans l’ombre de l’atelier, du studio ou du bureau.

Dans la même entrevue, vous nous dites que le milieu culturel est « complexe » et que les importantes disparités entre les disciplines et secteurs d’activités justifieraient des réponses politiques négociées en silo. Nous ne sommes pas de cet avis. Si le milieu est complexe, il est aussi uni autour d’un même constat : ce sont tous les arts qui souffrent des conditions de précarité financière actuelle. À preuve, les manifestations du printemps dernier, organisées par la Grande mobilisation pour les arts au Québec (GMAQ), rassemblaient et ont été portées par des gens de toutes les disciplines artistiques.

Au-delà de l’écart flagrant entre les industries culturelles et les arts, il existe une solidarité au sein de ces derniers, parce que les enjeux auxquels nous faisons face sont semblables, tant pour les artistes et autres travailleur·euses de l’art que pour les organismes. Premièrement, nous subissons tous·tes une augmentation du coût de la vie, bien au-delà du financement disponible. Deuxièmement, la lourde charge administrative qu’exige la recherche de financement public – sans aucune garantie que ce travail générera un revenu. Troisièmement, le fractionnement du financement en enveloppes dédiées qui ne correspondent pas toujours à nos besoins les plus pressants : acheter un projecteur numérique de pointe ou faire construire

une plateforme web, c’est super si tu es capable d’offrir un salaire décent à tes employé·es ou de te payer toi-même. Quatrièmement, les effets délétères de la précarité endémique et de l’épuisement qu’elle provoque, qui se traduisent en exil des artistes et des travailleur·euses et en fermetures d’organismes. Cette réalité est plus lourdement ressentie dans les régions situées à l'extérieur des grands centres, où les disparités d'accès au financement et aux infrastructures créent des déserts culturels. En outre, les situations de précarité systémiques affectent encore davantage les personnes des groupes marginalisés, qui peinent toujours à être pleinement reconnues dans nos milieux très compétitifs. Enfin, et plus largement, nous avons en commun de vouloir être considéré·es comme davantage qu’une force économique ou un levier pour d’autres secteurs d’activités (restauration, tourisme, attraction des entreprises étrangères, etc.) Les artistes et les travailleur·euses de l’art, vivant ou non, se cherchent tous·tes une raison d’exister, dans un contexte social où on leur donne toutes les raisons de disparaître.

Sans nous (quand tous les arts seront morts)

Les arts sans scène doivent donc être reconnus comme aussi vivants et nécessaires que les autres, mais ce n’est pas là notre seule inquiétude : nous vous écrivons pour nous assurer que l’argent public investi dans les arts et la culture se rende jusqu’aux artistes. La réponse du ministère de la Culture aux revendications du printemps dernier fut une augmentation temporaire du budget du programme de soutien à la mission des organismes. Insuffisante, cette réponse a de plus laissé les artistes sur le carreau, et ce peu importe leur discipline. Nous soutenons les demandes du Front commun pour les arts et nous ne pouvons qu’appuyer leur constat d’une incapacité actuelle des organismes culturels à remplir leur mission. Cependant, nous voulons vous rappeler, Monsieur le Ministre, que ces organismes existent pour et grâce aux artistes qui y produisent et diffusent leur travail. Nous pourrions difficilement poursuivre nos projets sans eux : inversement, ils n’auraient aucune raison d’être sans nous.

Ce « sans nous » est un enjeu pressant. Nous, artistes, sommes à bout de souffle. Nombreux·euses sont nos collègues à l’avoir exprimé dans les médias au cours des derniers mois. L’accès aux bourses, indispensable au développement et à la réalisation de nos œuvres, est de plus en plus difficile. En 2023-24, dans les programmes “Création” et “Exploration et recherche”, piliers du soutien aux artistes, le Conseil des arts et des lettres du Québec n’a répondu positivement qu’à 21,1% et 22% des demandes de subventions (Rapport annuel 2023-24, p.151). Autrement dit, ce sont près de 4 demandes sur 5 qui sont déboutées. Ces demandes représentent une charge de travail administratif énorme, mais le plus souvent effectué en vain, comme le montrent les chiffres. Dans ce contexte, nous sommes nombreux·euses à nous demander comment nous allons pouvoir poursuivre une pratique artistique sérieuse et la partager avec nos concitoyen·nes, nos voisin·es, nos publics.

Or, sans nous, artistes des arts vivants ou non, l’ennui culturel impose son plat terrain. Sans artistes, quels récits nous reste-t-il pour créer une histoire commune et une société qui se tient et se soutient? Sans artistes, pas de festivals pour s’assembler ailleurs que dans des centres d’achats, pas de livres illustrés pour bercer nos enfants, pas de poésie pour s’arracher un moment à la prose de l’économie quotidienne, pas de musique pour adoucir nos heures dans le trafic, pas de sculpture au détour d’une rue qui interrompt la monotonie architecturale, pas de théâtre de marionnettes dans les parcs, pas de films qui ressemblent à autre chose qu’une

énième expérience Netflix, pas d’émerveillement face à des corps qui inventent des gestes que nous n’avions jamais même imaginés, pas de romans sur la plage, ni de murales à l’entrée des ruelles.

Augmentez le budget du CALQ

Ce « sans nous » est plus proche que vous ne pouvez le croire. Les artistes vivent certes modestement, mais doivent manger, se loger, se soigner et prendre soin de leur famille comme tout le monde. Il y a urgence à passer de la parole aux actes et à montrer aux travailleur·euses de l’art que la société québécoise tient à leur existence. Affirmer le droit des artistes à vivre décemment, c’est aussi rappeler que faire société requiert du soin et des solidarités, et que tolérer et entériner une culture de la pauvreté, pour quelque groupe que ce soit, est inexcusable.

Comme nos allié·es du Front commun, nous artistes et travailleur·euses de l’art réclamons donc une augmentation substantielle et permanente du budget du CALQ, tout en réaffirmant la nécessité de son autonomie politique. Vous le savez déjà, le marché culturel québécois est trop petit pour envisager sérieusement que le privé vienne pallier l’actuel manque de soutien public.

Connaissant votre sensibilité envers l’importance des arts pour la société québécoise, nous croyons que vous comprendrez et voudrez appuyer cette demande auprès de votre gouvernement.

Sincèrement,
La Grande mobilisation pour les arts au Québec

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