Du soutien pour les porteurs
Le 18 juin dernier, le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) publiait ses orientations budgétaires pour l’exercice financier 2025-2026 (https://www.calq.gouv.qc.ca/actualites-et-publications/actualites/orientations-budgetaires-2025-2026). Le milieu artistique attendait cette publication, qui annonce les choix de l’institution quant à l’allocation des 40 millions $ supplémentaires accordés par Québec en mars dernier (sur un budget total de 200 millions $).
Ces 40 millions $, rappelons-le, sont entièrement le résultat des mobilisations menées par les des artistes et des travailleur⋅euse⋅s de l’art, qui ont pris d’assaut les rues et les tribunes médiatiques depuis plus d’un an et demi pour dénoncer la précarité insoutenable de celleux qui font la culture québécoise. Or, aujourd’hui, les artistes qui se sont ainsi mobilisé⋅e⋅s ne peuvent que constater qu’iels se sont fait couper l’herbe sous le pied.
La Grande mobilisation pour les arts au Québec, qui porte depuis le printemps 2024 les demandes des artistes et travailleur⋅euse⋅s de l’art indépendant⋅e⋅s, a toujours réclamé que la majorité des sommes qui s’ajouteraient à l’enveloppe du CALQ soit dirigée vers les quatre programmes de bourses à la création. Pourquoi ces programmes? Parce qu’en 2024, lorsque le ministre de la Culture et des Communications a débloqué 10 m$ dans l’urgence, l’entièreté de cette somme est allée aux organismes. Que, dans de certaines disciplines (arts visuels et littérature, entre autres), le budget des organismes n’a aucune incidence sur les budgets de production artistique, puisque ceux-ci ne versent pour la plupart aucun cachet de production aux artistes dont ils diffusent le travail. Que les autres programmes du CALQ interviennent en aval ou en périphérie de la création, et n’ont donc aucune raison d’être si les artistes n’ont pas le soutien nécessaire pour créer. Que les artistes ne sont pas sorti⋅e⋅s dans la rue pour demander une augmentation des budgets pour les sorties scolaires et la circulation d’œuvres, mais parce qu’iels peinent à faire leur travail de création.
Malgré tout ça, notre revendication que le CALQ priorise une majoration des montants dédiés aux bourses de création pour les artistes n'a pas été entendue. Le CALQ a choisi de n’ajouter que 3 m$ à l’ensemble des programmes destinés aux artistes : si l’on partage cette somme au prorata des budgets respectifs des différents programmes inclus dans cette catégorie, nous arrivons à un montant additionnel probable de 1,9 m$ pour les quatre programmes de bourses à la création. Cela correspond à 4,75% des 40 m$, un montant très en deçà de nos attentes, mais surtout très en-deçà des besoins des artistes sur le terrain.
Le CALQ affirme allouer ces 3 m$ supplémentaires « pour soutenir les projets artistiques les plus porteurs ». Que sous-entend ce préambule réductionniste? Son refus de miser sur l’amélioration des taux d’acceptation médiocres des programmes de bourses à la création (21%) marque-t-il le passage d’une mission de soutien aux artistes professionnel⋅le⋅s à une mission de soutien à une minorité d’artistes? Est-ce que l’administration du CALQ considère acceptable le fait que 4 artistes sur 5 qui en font la demande n’obtiennent pas de financement pour leur projet? Sur quels critères le conseil se base-t-il pour déterminer qu’un projet (sur 5) est « porteur », et que les autres ne le sont pas? Posons la question autrement : qu’est-ce qui fait dire à l’institution que 79% des projets que les artistes proposent ne sont pas assez porteurs?
Ce critère aux contours flous (porteur de quoi?) n’a rien pour rassurer les artistes, auxquel⋅le⋅s on demande depuis des années d’assumer un nombre croissant de fonctions sociales, économiques, pédagogiques ou patriotiques. L’État néolibéral a ainsi pris l’habitude de compter sur les artistes pour accomplir à peu de frais toute une série de fonctions sociales dont lui-même s’est désengagé au fil des années. On peut alors questionner le fait que le CALQ consacre 6,5 m$ pour « stimuler l’accès du jeune public à la culture québécoise », au moment même où le gouvernement sabre dans les budgets scolaires, mettant en péril la possibilité qu’ont les écoles d’organiser des activités et sorties culturelles. Porter à bout de bras un corps social que les gouvernements ont choisi de ne plus soutenir : est-ce là la mission de cet art « porteur » auquel le CALQ entend limiter son soutien?
Revenons à la base : financer décemment la recherche et la création professionnelle des artistes québécois⋅e⋅s, en amont des objectifs de rayonnement et de développement des publics. C’est la raison pour laquelle nous étions dans la rue : c’est la raison pour laquelle nous y retournerons. Nous nous sommes battu·e·s pour que le pilier du soutien aux arts au Québec reçoive le financement indispensable à l’accomplissement de sa mission première: soutenir le milieu artistique québécois. Nous invitons maintenant l’administration du CALQ à lutter pour préserver le sens et l’essence de cette mission.
La Grande mobilisation pour les arts au Québec